Voyage en Irak : un commentaire

Le voyage en Irak du pape François se situe dans l’esprit de Mar Moussa, et bien sûr, de la figure d’Abraham, si cher à Paolo dall’0glio, fondateur du monastère syrien. Le commentaire de Joseph Hug, pour qui ce voyage et sa portée sont impressionnants.

Le voyage mémorable du Pape François est le fruit de la persévérance car c’est la promesse qu’il avait faite aux chrétiens de la plaine de Ninive de venir leur rendre visite, après les épreuves qu’ils ont subies de la part de « l’État islamique », entre 2014 et 2017.
Le voyage a comporté trois dimensions qui sont liées étroitement. D’abord la dimension politique,illustrée à l’aéroport de Bagdad et par la réception au palais présidentiel, où les plus hautes autorités de l’État et les diplomates ont accueilli le Pape.
L’Irak est un Etat moderne récent, né du démembrement de l’Empire ottoman voulu par les Puissances et qui a été fondé par le Traité de Sèvres, il y a tout juste un siècle. D’abord confié au mandat britannique, indépendant depuis 1932, il a connu la monarchie jusqu’en 1958, puis des régimes militaires et la dictature de Saddam Hussein jusqu’en 2003, enfin l’écroulement après la guerre d’invasion
des Etats Unis, qui a conduit à l »Etat islamique » et à son chaos. L’État irakien n’a jamais réussi d’établir un modus vivendi avec les principales composantes de sa population, sunnite, shiite, kurde et les minorités (chrétiennes, yézidis, turkmène, etc). Le pays ne pourra sortir de l’instabilité actuelle que par une distribution équitable du pouvoir et des richesses et une lutte contre la corruption. La région au nord de l’Irak a réussi partiellement à obtenir son autonomie, en profitant de la lutte entre shiites et sunnites, mais sans reconnaissance internationale.
Par sa visite et l’accueil que lui ont réservé les autorités le Pape François qui n’a rien à imposer, témoigne devant ces autorités qu’il faut un Etat où les pouvoirs sont partagés et que la lutte contre la corruption est cruciale pour que le pays ait un avenir.
La deuxième dimension du voyage concerne la coexistence des diverses religions, et en particulier celle avec l’Islam et à l’intérieur de l’Islam. La visite de François au grand ayatollah Ali Sistani, à Najaf haut-lieu du shiisme, est un symbole très fort. La rencontre avec cet homme humble et sage m’a fait du bien à l’âme a déclaré le Pape dans l’avion de retour. Cet homme, encore plus âgé que le Pape est connu pour sa modération : il a notamment demandé aux autorités de ne pas recourir à la répression violente du mouvement des jeunes qui s’était élevé, à la fin de 2019, contre la corruption des élites politiques à Bagdad.
La visite en Nadjaf se situe en prolongement des rencontres de François avec le grand imam Tayeb de l’université du Caire, encourageant à un mouvement convergent vers la paix par l’Islam et le christianisme.
Vint ensuite le même jour samedi 6 mars, l’émouvante rencontre interreligieuse dans la plaine de Ur, sous le signe de l’hospitalité abrahamique.
A proximité de la ziggourat, une des deux mieux préservées de l’Orient ancien, symbole du rapport entre la Terre et le Ciel, devant un parterre de haut-dignitaires religieux,-il manquait malheureusement un représentant juif-, j’ai été frappé par la beauté du chant du Coran de la sourate Abraham, l’ami de Dieu, qui faisait suite à la lecture de l’appel du patriarche dans le Livre de la Genèse.
Les trois témoignages qui ont suivi, venant de « gens de la base » ont donné une note caractéristique de ce voyage, où les dignitaires avec le Pape ont écouté et ainsi approuvé des expériences très poignantes.
D’abord, deux jeunes,l’un chrétien, l’autre musulman qui ont monté ensemble une petite entreprise à Bassorah, la grande ville du sud.Puis une femme sabéenne, également de Bassorah, a évoqué comment elle a vécu pendant des années l’embargo contre son pays et disant au Pape « nous avons regagné notre dignité grâce à vous » et qui a juré devant tous les présents « de rester sur cette terre » de Mésopotamie. Le troisième témoignage vint d’un professeur, musulman shiite, enseignant à l’université de Nasiriya, qui organise
des pèlerinages et des visites sur le site d’Ur, témoignant aussi de la coexistence pacifique entre les uns et les autres croyants.
A Ur la figure d’Abraham, l’ami de Dieu, le migrant qui a dû quitter sa terre, évoquait le sort de millions d’autres migrants de notre temps qui ont dû laisser leur terre et leur maison dans ces pays d’Orient et sont venus trouver une autre maison ailleurs là-bas ou ici en Occident.
La troisième dimension du voyage du Pape a pris corps et âme dans ses nombreuses rencontres avec les communautés chrétiennes du pays qu’il venait pour réconforter et soutenir dans leur avenir.
J’ai été particulièrement impressionné par la emesse célébrée dans le rite oriental chaldéen à la cathédrale de Bagdad. Lorsqu’on sait combien les Latins, le Pape Pie IX, des évêques et le clergé tenaient en piètre estime, et cela jusqu’au concie Vatican II, les rites, les coutumes et les droits des croyants orientaux, cette célébration du Pape est un événement. L’assistance priant à haute voix et les magnifiques chants de la liturgie chaldéenne étaient impressionnants.
Enfin et surtout l’émouvante cérémonie de Mossoul, Place des églises détruites, où l’on entendit le maire appeler les chrétiens à revenir et le seul prêtre comment il a recommencé son service.
Puis la cérémonie, presque intime dans la cathédrale de Qaraqosh avec les enfants joyeux et de nouveaux témoignages, dont celui particulièrement poignant d’une femme exprimant son pardon pour les assassins de sa propre famille.
En dernier lieu, la grande messe dans le stade d’Erbil, en présence des hautes autorités kurdes et l’appel du Pape à ne pas s’enfoncer
dans une spirale de représailles sans fin, de ne pas répondre à la violence par la violence, mais d’oeuvrer chaque jour par des gestes
pour la réconciliation.
Certes, l’avenir en Irak est incertain, comme dans les pays voisins en particulier en Syrie, mais la visite du Pape est un immense encouragement pour la reconstruction du pays, sur des bases plus justes, plus solides. Sera-t-il suivi d’effets ?

Joseph HUG