Paru dans le journal « Domani », le 26 novembre 2023, un article sur la situation des chrétiens en Irak et le rôle majeur tenu par le monastère de Suleymanyie, dont le responsable est le père Jens, proche de Paolo Dall’Oglio.
La communauté chrétienne s’est considérablement réduite au cours des dernières décennies en raison de politiques discriminatoires et de guerres, notamment contre Isis. Dans le pays, cependant, il y a ceux qui regardent l’avenir avec espoir.
Le monastère de Deir Maryam al-Adhra n’est pas facile à trouver. Caché dans les ruelles étroites du centre de Sulaymaniyah, la deuxième ville du Kurdistan irakien, le bâtiment se distingue des autres par son clocher et la croix métallique qui le surplombe, signe évident de son identité religieuse. Une identité chrétienne, qui risque de disparaître de l’Irak mais qui continue de résister malgré les guerres et la violence.
AU COEUR DE SULAYMANIYAH
Le monastère de la Vierge, avec ses petites briques ocre qui brillent au soleil, est entouré de cette aura un peu austère commune à tous les lieux de culte. Mais une fois le portail d’entrée franchi, on est confronté à un scénario inattendu. La cour intérieure, de forme carrée avec un petit jardin au centre, est animée par le va-et-vient des jeunes garçons et filles arrivés au monastère pour assister à la leçon de langue du jour. Réunis en petits groupes à différents endroits de la cour, ils discutent entre eux en arabe ou en anglais pour revoir les notions apprises les jours précédents, tandis que quelques chats se promènent entre leurs jambes à la recherche de quelqu’un qui leur prêtera attention.
On l’aura compris, Deir Maryam al-Adhra est un lieu de culte atypique. Ici se déroulent des cours de langue, des cours de théâtre, des forums de discussion et des séminaires sur l’avenir du Kurdistan irakien et sur le dialogue interreligieux, fondamental dans un pays où il existe une grande variété de confessions, qui ne sont pas toutes acceptées de la même manière.
Le Kurdistan irakien, région autonome du nord de l’Irak, présente une grande diversité de langues et d’ethnies : on y parle kurde, arabe, turkmène et araméen, tandis que les musulmans – chiites et sunnites – cohabitent avec les juifs et les chrétiens des églises chaldéenne, syro-catholique et syro-orthodoxe, mais aussi avec les zoroastriens, les yézidis, les manichéens et les kakaïs. Dans le passé, le soufisme, un courant spirituel du sunnisme qui a été supplanté au fil des ans par des visions plus radicales de la religion musulmane, telles que le wahabisme et le salafisme, était également répandu dans la région autonome.
RISQUE D’EXTINCTION
Au risque de disparaître aujourd’hui, il y a le christianisme. Les politiques discriminatoires et les conflits, notamment contre l’État islamique, réduisent de plus en plus le nombre de chrétiens en Irak, malgré des liens historiques forts. Les premiers fidèles se sont installés dans le pays au premier siècle, mais au cours des trente dernières années, le nombre de chrétiens vivant en Irak à la veille de la deuxième guerre du Golfe est passé de 1,4 million à environ 150 000. Un effondrement auquel ont contribué les politiques mises en œuvre par Saddam Hussein, les guerres des dernières décennies et les persécutions de l’État islamique.
Ce dernier a en effet également entraîné un important exode des chrétiens, notamment de la vallée de Ninive, une région située au nord de l’Irak, près de la ville de Mossoul, devenue de 2014 à 2017 la capitale du califat dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi. Dans la nuit du 6 au 7 août 2014, environ 120 000 chrétiens ont été contraints de fuir, abandonnant une région où le christianisme était arrivé jusqu’à vingt siècles plus tôt.
Ninive est également à l’origine des 250 personnes accueillies depuis 2014 par le monastère de Sulaymaniyah, qui s’est immédiatement mobilisé pour donner refuge aux déplacés, comme l’explique le père Jens, prieur et fondateur de la communauté Deir Maryam al-Adhra avec le père Paolo Dall’Oglio. Pour la communauté chrétienne de Ninive, il n’a cependant pas été facile de s’adapter au nouveau contexte social. « Il y a eu un problème de communication », explique le père Jens.
La langue officielle du Kurdistan est le kurde, alors que l’arabe est parlé dans le reste du pays et que les deux communautés ne connaissent pour la plupart que leur propre langue. « Il y avait des gens qui ne savaient pas parler kurde, alors nous avons mis en place des cours. Puis le projet s’est développé et nous l’avons ouvert aux non-chrétiens, élargissant ainsi l’offre linguistique. Aujourd’hui, nous enseignons également l’anglais et l’arabe ».
Les cours de langue ont été un succès et ont également permis de dépasser les divisions ethniques et religieuses qui régissent encore les relations humaines en Irak, y compris au Kurdistan. « Ce que nous faisons ici, c’est briser le moule. Nos étudiants sont musulmans, chrétiens, sabéens, certains zoroastriens. C’est un lieu de mélange », ajoute le père Jens.
Pour le prieur, il est essentiel de dialoguer et de travailler avec les jeunes pour apporter un véritable changement dans le pays. La population est largement composée de personnes de moins de 35 ans, et c’est vers eux que le père Jens tente de se tourner pour construire un Irak différent, plus inclusif et plus juste, dans lequel il y a de la place pour tout le monde. Même pour les chrétiens.
Cette division marquée entre les communautés est récente », explique calmement le père Jens en sirotant une tisane dans une grande tasse en verre. La situation a évolué au cours des dernières décennies, avant même l’avènement de Saddam, même si elle s’est nettement accentuée avec lui ».
Les politiques imposées par le dictateur et son parti, le Baas, étaient très dures à l’égard des chrétiens, qui étaient de plus en plus enclins à quitter le pays. Au début, un tiers de la population était chrétienne, mais il y a eu les guerres mondiales, les guerres du Golfe, celle avec l’Iran, les conflits internes et enfin Isis. Beaucoup sont partis ».
DE L’ISIS À AUJOURD’HUI
La chute de l’État islamique n’a pas suffi à mettre fin à l’exode des chrétiens. « Beaucoup vivent avec leurs valises faites, donc ils ne pensent même pas à construire un avenir ici », explique avec regret le père Jens. Dans la seule ville de Mossoul, 24 000 chrétiens vivaient jusqu’en 2003, mais après l’occupation de l’Isis, seuls 350 sont revenus.
Une fuite définitive qui caractérise également la communauté de Ninive, trop effrayée par le danger de nouvelles attaques pour se convaincre de rentrer chez elle.
Dans de nombreux cas, d’ailleurs, les maisons ont été détruites par la guerre ou remplies d’engins explosifs par les miliciens de l’Isis. Six ans plus tard, les zones passées sous la bannière du califat ne sont pas encore totalement nettoyées et certaines personnes perdent encore la vie à cause d’un engin piégé caché derrière une porte, sous une table renversée ou plus simplement encore sous le couvercle d’une casserole.
Mais l’exode forcé a aussi permis l’émergence de nouveaux quartiers chrétiens, comme celui d’Ankawa à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. En se promenant dans les rues de cette banlieue du nord-ouest de la ville, il est facile de rencontrer des églises de différentes tailles ou de voir des images sacrées de la Vierge Marie accrochées aux murs des magasins, parfois entourées d’un cercle de petites lumières blanches.
La communauté du père Jens continue également à résister, au nom de cette intégration avec les autres confessions religieuses qui a toujours guidé la communauté monastique d’al-Khalil, fondée par le père Dall’Oglio – disparu en Syrie en 2013 – et promotrice du dialogue entre les différentes confessions. Les difficultés ne manquent certes pas, mais la situation d’urgence dictée par l’avancée d’Isis ayant été surmontée, il est temps de se tourner vers l’avenir et de continuer à promouvoir le dialogue interreligieux.
Alors que le père Jens termine son discours, le son des cloches appelant à la messe du soir entre par la fenêtre ouverte donnant sur la cour du monastère. L’église de Deir Maryam al-Adhra, construite en 1862 et ayant survécu au bombardement britannique de 1923, accueille chaque jour la petite communauté de croyants et leur sacristain.
Derrière l’autel, posée sur l’une des colonnes, se trouve une photo du père Dall’Oglio. Le visage légèrement incliné, un sourire bon enfant aux lèvres, il semble vouloir insuffler du courage aux badauds, invitant ceux qui croisent son regard à ne pas baisser les bras. Comme les chrétiens d’Irak.