Le journal Le Temps a publié une interview de Jihad et Houda au sujet des changements actuels.
Connu pour son engagement dans le dialogue interreligieux et marqué par la disparition du Père Paolo Dall’Oglio, le sublime monastère de Mar Moussa appelle aujourd’hui la minorité chrétienne à participer au changement politique après la chute du régime
C’est un refuge blotti dans un pli de l’écorce terrestre. Pour y accéder, il faut garer sa voiture après avoir parcouru de longs kilomètres dans le désert syrien. Puis on gravit des marches creusées à même la roche pendant une vingtaine de minutes. Une fois arrivés là-haut, il faut s’incliner pour franchir la petite porte du monastère Saint-Moïse-l’Abyssin, Deir Mar Moussa al-Habachi, l’un des plus anciens de Syrie.
En cette fin de journée, les moines et les moniales – Mar Moussa est un rare monastère mixte – de cette petite communauté syriaque catholique sont en séance de méditation. Vêtus de longues tuniques blanches, ils sont adossés à un mur de la petite basilique de Mar Moussa, construite en 1051 sur les ruines d’une fortification romaine. Des inscriptions en arabe, syriaque et grec, à connotations musulmane et chrétienne, recouvrent les murs. Ce sont parmi les plus anciennes fresques de l’Orient chrétien.
Le visiteur est accueilli par un regard bienveillant, sans rompre le silence. Au bout d’une heure, la messe commence. Les prières sont récitées à tour de rôle en arabe. Sœur Houda traduit les indications des textes en anglais. Tout est fait pour que l’endroit soit le plus inclusif possible. La direction de la Mecque est indiquée et des tapis de prières sont empilés afin que les musulmans se sentent les bienvenus.
L’histoire du monastère de Mar Moussa est inséparable de celle de son fondateur, le Père Paolo Dall’Oglio. Ce jeune gauchiste romain des années 1970 est devenu jésuite, puis missionnaire en Syrie. C’est lui qui entreprendra la reconstruction de ce monastère abandonné au XIXe siècle avec le soutien de volontaires syriens et occidentaux. L’harmonie entre islam et christianisme était le combat de Paolo Dall’Oglio. Le monastère de Mar Moussa al-Habachi devient rapidement le centre du dialogue interreligieux en Syrie.
(photo JJMeylan)
Mais la communauté est percutée de plein fouet par la guerre. En 2012, quelques mois après les manifestations demandant la fin du régime de Bachar el-Assad, Paolo Dall’Oglio est expulsé du pays suite à ses appels demandant une transition politique et une solution pacifique au conflit. Il s’installe alors en Irak d’où il va, à deux reprises, rencontrer des cadres de l’organisation Etat islamique pour tenter de négocier la libération d’otages. La troisième fut la dernière. Le 29 juillet 2013, il disparaît à Raqqa, «en Syrie libre» comme il l’écrit dans son dernier mail.
«Jamais ils n’ont attaqué le monastère»
Rapidement, le monastère se trouve au cœur d’une bataille pour le contrôle de la région du Qalamoun. Une grande base militaire du régime de Bachar el-Assad se trouve à proximité. Les rebelles sont présents dans les montagnes tout autour. «Jamais ils n’ont attaqué le monastère car ils faisaient partie de l’armée syrienne libre. C’étaient des Syriens qui combattaient pour leur peuple», raconte Sœur Houda. Cependant, le climat est tendu. Le régime ne permet pas aux moines de quitter le monastère, ils pourraient être confondus avec les rebelles et attaqués. «Des bergers qui avaient l’interdiction de quitter leur village [Nebek, situé à une quinzaine de kilomètres du monastère, ndlr], venaient à pied nous apporter du pain, des dattes et du lait», rapporte Sœur Houda. Elle n’a jamais quitté le lieu depuis sa première rencontre avec Père Paolo, alors qu’elle était étudiante, dans les années 1990. Comme elle, une poignée de moines et de moniales restent enfermés dans ces vieilles pierres désormais silencieuses et s’investissent pour le restaurer et aider les Syriens des environs.
Depuis 2016, des cours de musiques sont offerts à des enfants de Nebek. «Des enseignants musulmans et chrétiens viennent chaque vendredi de Homs et de Damas donner cours», explique Houda. La communauté a également ouvert une maternelle mixte, où 170 enfants sont inscrits. «Pour nous, chrétiens, c’est très difficile de surmonter les préjugés», explique Houda, et il en est de même pour les musulmans. «En se côtoyant autour d’une activité, les enfants et même les adultes franchissent les barrières, créent des liens.»
Rencontre avec des chefs de HTC
Cette semaine, le Père Jihad Youssef, moine et actuel prieur du monastère de Mar Moussa, parcourait la Syrie afin de rencontrer les représentants des différentes Eglises chrétiennes et musulmanes. Mardi, il a rencontré des leaders d’HTS. «C’était une rencontre amicale avec des regards très fraternels. Nous avons, sur certains sujets, des points de vue différents et même contraires, mais la discussion s’est déroulée sans tension et sans amertume, dans un échange libre», rapporte-t-il. C’est au niveau des édiles qu’il tente de perpétuer cette tradition de rencontre. «Avec la crise économique et la situation sécuritaire instable, ce n’est pas le moment d’inciter les gens à se déplacer jusqu’à Mar Moussa. Nous recommencerons quand les routes seront sûres», explique-t-il.
«Nous devons radicalement changer de mentalité»
Mais en plus des rencontres avec le nouveau pouvoir, Jihad Youssef appelle les chrétiens à s’unir. Il vient d’ailleurs de publier une lettre ouverte qui les appelle à participer ensemble au changement. «Nous devons participer à la construction de ce pays. Notre intérêt ne réside pas dans nos libertés individuelles telles que boire de l’alcool ou que les femmes puissent porter des minijupes. Nous devons radicalement changer de mentalité, sortir de ce sentiment de victimisation que nous avons eu les 54 dernières années», explique-t-il par téléphone au Temps. Ce qui se joue, c’est le futur des chrétiens en Syrie. Entre 2011 et aujourd’hui, la part de la présence chrétienne en Syrie est passée de 8% à 2% de la population. Et dans cet infime pourcentage, les différentes Eglises chrétiennes ont historiquement été divisées. Le Père Jihad insiste sur l’importance de participer à la prochaine Constitution: «Que ce soit pour les chrétiens mais aussi pour les Druzes, les alaouites et les sunnites qui ne veulent pas que l’État soit gouverné par la charia, il est indispensable de participer à l’élaboration de chaque article de la prochaine Constitution.»
Quels que soient les aléas de la politique, les moines et moniales présents au monastère de Mar Moussa continuent leur travail. Les olives ont été ramassées et sont séchées au soleil. Les légumes, plantés en contrebas de la montagne, sont transformés. Désormais, le wifi a été installé deux heures par jour afin de pouvoir suivre les soubresauts de l’actualité. (Le Temps, Sophie Woeldgen)