Témoignage de Deema, moniale de Deir Mar Moussa Synode 1er octobre 2024
Bonsoir à tous !
Je m’appelle Deema Fayyad et je suis originaire de Homs, une ville syrienne profondément marquée par les blessures de la guerre. Je suis une sœur de la communauté monastique d’al-Khalil (l’ami de Dieu) fondée en 1991 au monastère syriaque-catholique de Saint Moïse l’Abyssin par le père Paolo Dall’Oglio S.J., accompagné de Jacques Mourad.
Aujourd’hui, je suis ici pour partager un témoignage que les mots peinent à exprimer. Il s’agit d’une expérience de douleur profonde qui pousse souvent à se refermer sur son propre tourment, sans réussir à entrer en contact avec la douleur des autres. La guerre, en effet, ne détruit pas seulement des bâtiments et des rues, mais elle atteint aussi les liens les plus intimes qui nous ancrent à nos souvenirs, à nos racines et à nos relations.
Pendant la guerre syrienne, les parties belligérantes ont cherché systématiquement à isoler les zones, éloignant même les expériences vécues des quartiers voisins. Cela a progressivement facilité l’éloignement de toute forme d’empathie, en étiquetant l’autre comme ennemi et, dans des cas extrêmes, en le déshumanisant et en justifiant son meurtre. Un de mes amis chrétiens m’a un jour dit : « Tu sais, je n’ai pas peur de la mort en soi, mais j’ai peur de mourir tué par un de mes amis musulmans… ». Je me souviens vivement des yeux pleins de larmes des jeunes issus de différentes zones lorsqu’ils apprenaient l’expérience de l’autre ; dans ces moments-là, les barrières des préjugés tombaient et le voile de la déshumanisation de l’autre s’effondrait.
Beaucoup de jeunes ont choisi, pour diverses raisons, la voie de la violence, et il ne s’agit pas seulement de musulmans. De nombreux jeunes, et pas seulement des chrétiens, ont aussi consacré leur temps à visiter et secourir des familles dans le besoin ou à offrir un sourire aux enfants. Dans ce monde qui est le nôtre, malheureusement blessé par tant de violence, l’urgence est de travailler sur les relations. Ce travail demande un effort extraordinaire. La guerre, en effet, parvient souvent à faire ressortir le pire de nous-mêmes, révélant égoïsme, violence et avidité. Cependant, elle peut aussi faire émerger le meilleur de nous : la capacité de résister, de nous unir dans la solidarité, de ne pas céder à la haine.
Face à l’horreur de la guerre, il est facile de se laisser submerger par l’impuissance, risquant de sombrer dans le désespoir, la colère, en voulant dénoncer haut et fort chaque injustice. Cependant, ce sentiment d’impuissance peut justement se transformer en engagement, et cette colère peut devenir une lumière. Il s’agit d’un engagement dans une résistance non-violente qui, avec un grand effort, renonce à tout acte et toute pensée violente. Cette attitude non-violente devient une dénonciation silencieuse mais puissante contre ceux qui profitent de la guerre, en vendant des armes, en conquérant des terres ou en accroissant leur pouvoir. Cela peut sembler utopique, mais ce ne l’est pas. Nous l’avons vécu, en tant que communauté, en essayant d’allumer de petites lumières dans l’obscurité de la guerre. Nous avons cherché à créer des possibilités de rencontre et des opportunités pour les jeunes, en nous engageant à créer des espaces de dialogue et de croissance, qui sont essentiels pour la reconstruction des relations et de l’espoir pour l’avenir.
Tout cela n’aurait pas été possible sans la solidarité de nombreux, non seulement matérielle mais surtout morale et spirituelle. La guerre a été, en ce sens, une occasion de percevoir la grâce de faire partie d’une Église universelle, que nous célébrons aujourd’hui dans son cheminement vers la synodalité, où la douleur d’un membre est secourue avec amour et gratuité.
Cela nous a permis de recueillir parmi les décombres de la souffrance humaine les trésors les plus précieux : la solidarité et la fraternité, qui continuent à briller comme des signes d’espoir et de paix.
Même dans les moments les plus sombres, où des cris peuvent s’élever vers Dieu pour demander pourquoi, ou lorsque des doutes sur Sa présence envahissent l’esprit, c’est précisément là que l’on peut rencontrer Dieu. Comme l’a écrit une de nos amies dans le titre de son livre sur l’expérience des pays du Moyen-Orient frappés par la guerre : Dieu au milieu des ruines.(*)
* « Dieu au milieu des ruines » le très beau livre d’Eglantine Gabaix-Hialé aux Editions Mame; préfacé par le Père Jacques.
En pièce jointe, une photo prise le 25 Septembre à Paris lors de la présentation des livres d’Eglantine, Francesca et du Père Jacques.
Prions pour la Paix.