Le Point: les chrétiens de Homs sur le qui-vive

REPORTAGE. L’archevêque syriaque catholique Jacques Mourad espère que les chrétiens retrouveront une place dans la Syrie post-Assad et refuse l’idée d’un gouvernement islamique.
Il ne reste plus que 20 000 chrétiens à Homs, et à peu près 25 000 dans les villes et villages alentour, soit trois ou quatre fois moins qu’au début de la guerre civile syrienne. Homs, troisième ville du pays, reste une mosaïque représentative de la diversité de la société syrienne : musulmans sunnites, alaouites et ismaéliens, chrétiens de toutes obédiences, y ont « toujours vécu ensemble », souligne l’archevêque syriaque catholique Mgr Jacques Mourad : « La Syrie n’est pas l’Irak. »
« Avant la guerre, les chrétiens partaient déjà à cause de la situation économique et du manque de liberté. Ensuite c’était pour se protéger », poursuit-il. À l’image de sa communauté, la cathédrale du Saint-Esprit, construite en pierre basaltique, n’a pas été épargnée. Deux roquettes ont même traversé le toit lorsque la ville était assiégée et bombardée par l’armée de Bachar el-Assad, entre 2012 et 2014.
Depuis qu’il a été consacré archevêque en 2023, Jacques Mourad prêche pour « ne pas laisser la haine nous envahir ». « Nous avons des préoccupations mais pas de colère », ajoute cet homme au sourire communicatif, né il y a 56 ans à Alep.
Mais cette inquiétude est grande parmi ses ouailles. « Nous avons très peur. On ne sait pas ce qui va se passer. La poussière doit retomber pour qu’on y voie clair. Mais nous avons eu de mauvaises expériences avec ces gens-là par le passé », souffle une chrétienne qui fréquente la cathédrale.
« D’anciens étudiants en charia »
Avant d’être envoyé à Homs, « Yacoub » Mourad a cofondé, en 1993 avec le père jésuite Paolo Dall’Oglio, la communauté de Mar Moussa-Saint-Moïse-l’Abyssin, il a ensuite passé quinze ans dans le monastère Mar Elian de Qaryatayn, près de l’oasis de Palmyre , jusqu’à ce que, un beau jour de 2015, les djihadistes de Daech y débarquent et le prennent en otage. Comme le père Paolo deux ans plus tôt.
Mais contrairement à son ami italien qui n’a jamais refait surface, Jacques Mourad en sortira vivant, après être demeuré en captivité pendant cinq mois, à Raqqa, enfermé la plupart du temps dans une salle de bains. « Dieu m’a donné deux dons. L’amabilité et le silence. Cela m’a beaucoup aidé à m’ouvrir aux djihadistes qui venaient me maltraiter », avait-il déclaré en 2020 lors d’une visite au diocèse de Paris.
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Aujourd’hui, alors que les ex-djihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTC) et les milices islamistes qui leur sont alliées ont pris le pouvoir, les communautés chrétiennes font profil bas. « Moi, j’ai un discours qui est très respecté, car je viens de la gueule du loup », sourit Jacques Mourad. « Nous faisons partie de ce pays, non pas comme minorité, mais comme membres de la société syrienne. Nous avons notre rôle à jouer pour construire la Syrie que nous voulons. »
En entrant dans la ville, les rebelles islamistes ont tenu un discours rassurant, promettant aux chrétiens que leur foi et leur culture seraient respectées. « Mais le nouveau gouvernement ne répond pas du tout à nos attentes. Concrètement, on le voit dans notre vie quotidienne, si l’on se rend à la compagnie d’électricité ou à la police, nous ne voyons que des gens qui ont étudié la charia. Les nouveaux ministres sont tous d’anciens étudiants en charia, leur CV est éloquent. »
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L’archevêque raconte avoir reçu la visite d’un haut responsable de HTC, « éduqué, présentable, ouvert, mais radical ». Son discours était « neutre » sur les chrétiens. Mais strict sur les principes fondamentaux d’une société islamique. « Il ne voulait pas entendre parler des boutiques de vente d’alcool, tenues par des chrétiens sur la grande rue du quartier de Hamidiye, où se trouve la cathédrale. Ni d’un lieu mixte où les femmes ne seraient pas voilées. »
Déclarations misogynes
« Ce sentiment de peur pour l’avenir domine chez les chrétiens », constate-t-il. Le nouveau maître de Damas, Ahmed Al-Charaa, alias Abou Mohammed Al-Joulani , a nommé comme gouverneur de Homs Obeida Arnaout, ancien porte-parole de HTC et du gouvernement de l’émirat d’Idlib. Cet homme s’est fait connaître, jeudi 19 décembre, pour des déclarations misogynes, sur une chaîne de télévision libanaise.
« La femme a sa propre nature biologique et psychologique et elle possède des particularités qui doivent nécessairement être en accord avec certaines tâches. Il n’est pas correct pour la femme d’utiliser des armes ou de se trouver dans une position qui ne correspond pas à ses compétences ou sa nature », a-t-il déclaré. Une sortie qui a provoqué, le soir même, des manifestations à Damas pour réclamer un gouvernement « séculaire ».
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Jacques Mourad, l’archevèque syriaque de l’église catholique romaine de Homs,le 18 décembre 2024. « Il faut un Etat fondé sur la citoyenneté, une Constitution qui ne donne pas la priorité à la religion. »
Ces premiers signes inquiétants poussent Jacques Mourad à donner de la voix. « J’essaye de parler fort et de leur dire de ne pas tomber dans la vengeance. Je ne peux pas imaginer une Syrie dirigée par un califat. Nous ne pouvons pas l’accepter. Il faut un État fondé sur la citoyenneté, une Constitution qui ne donne pas la priorité à la religion. Si on ne le fait pas aujourd’hui, cela n’arrivera jamais. »
La Syrie, observe-t-il, risquerait de basculer « d’un piège à un autre ». « Pour beaucoup de Syriens, ce mouvement islamique a libéré la Syrie de la dictature et du coup, cela devient un modèle. C’est un piège. Jusqu’à quand ce peuple va-t-il souffrir ? »
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L’illusion de protection qu’offrait le régime Assad aux chrétiens en était un autre. « Ceux qui pensent cela en Occident n’ont rien compris à la politique », s’agace-t-il. « La famille Assad a tout fait pour diviser la population mais elle n’y est pas parvenue. Pendant un demi-siècle, elle a creusé un immense fossé entre la hiérarchie politique et le peuple. Les chrétiens étaient interdits d’approcher de la politique. 80 % du budget du pays était affecté à l’armée, nous avons été appauvris à cause de cela. Aujourd’hui, c’est terminé. Je ne peux pas accepter que l’on m’interdise de participer à la vie politique, en tant que chrétien. Je ne suis pas un citoyen de seconde zone. »
De nos envoyés spéciaux à Homs Guillaume Perrier et Daham Alasaad
Publié le 23/12/2024 à 06:15