Première rencontre avec Mar Moussa

Joseph, en 1996
Joseph a découvert ce lieu en 1996 ; il avait lu un article au sujet de Mar Moussa et de Paolo et lorsqu’il avait rencontré les confrères à la résidence jésuite, il leur avait dit vouloir s’y rendre. Il est allé au nord de Damas, à l’extérieur de la ville, dans un grand parking avec une centaine de bus. Il a pris le bus pour Nebek. Arrivé à la bifurcation de Nebek, il trouve l’église au sommet de la ville. Il y avait là Amin, homme de liaison et père de famille qui aidait le monastère pour les transports et les constructions. Il l’a conduit avec son pick-up sur les 12 kilomètres . On montait jusqu’à une altitude de 1450 mètres, puis descente assez difficile sur le monastère par l’ouest. Joseph se souvient parfaitement de son arrivée devant la porte. Il a réfléchi à l’aventure du projet réalisé par le père Paolo, il était fasciné par le lieu. C’était le privilège de la jeunesse que de pouvoir y aller à pied. La furia de la construction n’était d’ailleurs pas encore développée. L’accueil, l’église, la chapelle, la beauté extraordinaire des fresques l’ont marqué. Il a rencontré Paolo, mais ne se souvient pas de leur première conversation ; c’est ensuite qu’une amitié est née et s’est poursuivie. Lors de cette première visite, c’est le lieu qui l’a fasciné. Il est resté deux nuits, puis a repris le chemin de Damas.

Yasmine, en 1999

Yasmine était avec un groupe de 200 personnes qui faisait des randonnées sous la conduite du père Frans. C’était en janvier, il pleuvait et neigeait et il fallait marcher 30 kl. dans le désert. Elle aussi a donc connu l’arrivée par derrière le monastère. Ils sont arrivés exténués, le soir. Le puits était gelé, il a fallu taper le fond pour sortir de l’eau pour 200 personnes, puis les nourrir ; il n’y avait pas d’électricité. Le matin, le paysage était dévoilé par un soleil merveilleux, qui créait un contraste entre le chemin parcouru le jour d’avant et l’horizon dégagé le lendemain. Il était impressionnant de penser que ce coin perdu existe depuis 1055, presque mille ans, alors que nous fêtons modestement les 10 ans de notre association. Yasmine est ensuite revenue presque tous les deux ans depuis. Chacun vient au monastère avec un but qui lui appartient. Ce peut être le repos, la méditation ou la spiritualité.

Laure, en mars 2002

Laure se trouvait à Damas pour pratiquer l’arabe. Elle participait à un voyage avec le père Jean-Bernard Livio. Emmenés au monastère un vendredi, il y avait plein de monde, de nombreuses familles venues manger sur la terrasse. Paolo a présenté les lieux. Laure a été frappée par le personnage. Il disait notamment que le plus important est de travailler sur les relations hommes-femmes. Il l’a invitée à revenir. Laure est donc revenue pour plusieurs jours : il y avait Paolo, Houda, Jacques, Boutros, Jens, Ramona (qui a ensuite quitté la communauté), et Jihad. L’ambiance était extraordinaire, tout le monde échangeait beaucoup. Les promenades aux alentours lui ont permis de se laisser gagner par la paix ambiante, par l’atmosphère, malgré le froid mordant. Elle a eu la chance de discuter avec Paolo pendant des heures. Elle a relu ses notes avec étonnement et propose quelques citations qui rappellent le personnage.

– Sur l’évêque de l’époque, Paolo estimait qu’il avait peur du dialogue avec les musulmans, peur de la perte d’identité.
– Il disait que le dialogue est la curiosité réciproque, c’est apprendre comment l’autre est en relation avec Dieu.
– L’obéissance, c’est savoir abandonner son opinion, avant d’y revenir quand celle-ci est devenue l’opinion des autres.
– Dans les relations hommes-femmes, il invitait à lutter contre la violence, la jalousie. Il disait que l’évêque est plus ouvert à la présence des femmes qu’aux relations avec les musulmans. Certains avaient d’ailleurs quitté la communauté au motif que Paolo accordait trop de places aux femmes. Il estimait qu’une supérieure de la communauté pouvait très bien être une femme, Houda le remplaçait déjà. Il estimait que l’église catholique est fondamentaliste, car elle ne veut pas donner la prêtrise aux femmes.
– Il était pour la liberté, créatrice d’interprétation des sources. Il disait être passionné par l’amour, la paix et le dialogue mais ressentait une très grande fatigue de porter la communauté.
– Pour la région, il voyait un futur noir, fait de violence et voulait malgré tout continuer dans la même voie…

Nadia, en 2002

C’était en septembre 2002, elle résidait depuis août à Alep, partie pour cette mission impossible, ou du moins infinie, que constitue l’apprentissage de l’arabe. La vieille ville d’Alep était fascinante, magnifique. Mais beaucoup de bruit, avec les klaxons, les télévisions, la pollution. Elle n’en pouvait plus du bruit. Leïla, une agronome qu’elle avait rencontrée, lui a dit que si elle avait besoin de tranquillité, de s’asseoir et de regarder le paysage, elle devait aller à Mar Moussa. Partie le vendredi d’Alep en bus, elle fait arrêter le bus à hauteur de Nebek, appelle un taxi, marchande, et arrive. Voir Mar Moussa lui tire des larmes ; c’est minéral, beau, calme, le silence y règne.
Le monastère manquait d’organisation : pas de tableau annonçant les heures des repas, les tours de vaisselle et autres tâches ; rien. Une fois la messe terminée, Nadia dit à Paolo que faute d’organisation, on est là et on ne sait pas ce qu’il se passe. Il répond qu’il n’y a certes pas d’organisation à la suisse, parce que ce qu’elle qualifie de désordre, fait partie de la vie.

Nadia est ensuite revenue, pendant dix ans. Elle garde comme image très forte une conférence où Paolo avait réuni des cheikhs, des prêtres et des pasteurs pour parler de la responsabilité individuelle, soit environ cette question : Dieu ou moi, qui agit ? Il y avait naturellement des gens des services secrets, et il avait annoncé leur offrir cette leçon qu’il aurait pu facturer au gouvernement. Un soir de pleine lune sur la terrasse, il y avait un soufi et Paolo qui frappait un tambour, et le soufi qui entraînait et disait une phrase qui venait, enflait et revivait un moment sur cette terrasse. Paolo avait le génie de rassembler les gens, de transmettre son énergie. Ils étaient en désaccord sur beaucoup de choses, mais elle reconnaissait son caractère visionnaire, lorsqu’il disait que l’avenir était à la double appartenance : catholique-orthodoxe, musulman-juif, que c’était ainsi qu’on s’en sortirait.

Florian, en 2010

J’ai passé 3 semaines à enseigner le français avec Nadia et ma compagne dans l’école Al-Amal (espoir) de Hassaké. Je m’attendais à trouver le calme. Arrivé en fin de semaine, il y avait beaucoup de monde, de touristes et de jeunes gens occidentaux venus s’échapper un temps de la fournaise de Damas. Malgré les visages fatigués des hôtes du monastère, l’accueil était très beau, le repas simple et savoureux. Peut-être cependant que la communauté sentait l’amoncellement des nuages au-dessus de la Syrie, le désert de violence à venir ; nous ne pressentions rien, nous étions éblouis par les lieux, ravis par l’écoute des chants dans la chapelle, par l’invitation à l’humilité que provoquait la façon de pénétrer en ces lieux. Cette nuit-là, il y avait beaucoup de bruit. Paolo est intervenu de sa voix forte, entre le chant et la parole, qui s’élevait dans les montagnes, revenait en écho. Il demandait le respect d’un lieu sacré, rappelait que malgré une pratique inconditionnelle de l’accueil, ce n’était pas un hôtel, que c’était un lieu de chasteté.

Il nous a accordé audience, dans la cuisine. J’avais le sentiment de devoir venir avec une question. Nous lui avons raconté qu’à Damas, au poste de police de la gare routière, un policier imbécile chargé du contrôle de nos visas avait fait voler un chat dans les airs d’un coup de pied, probablement aux fins de nous impressionner. Choqués, nous estimions que cela posait la question du rapport de l’islam avec les animaux. Paolo a déclamé les sourates sur le respect de la création, qui invitaient au respect des animaux. Cet acte n’avait rien à voir avec islam, mais avec une culture. Notre question l’intéressait dans la mesure où elle permettait de parler de dialogue inter-religieux et nous avons poursuivi notre dialogue sur ce sujet. En effet, il savait l’importance de la réconciliation, fondamentale pour les années à venir. Je suis reparti avec le sentiment d’un devoir, celui de revenir rapidement et dans des conditions plus calmes.

Jérémie, en 2010

Le prénom de la fille de Jérémie n’aurait pas été Nour (lumière) sans le passage à Mar Moussa et sans la rencontre avec Paolo. Le monastère était la destination du week-end pour bon nombre d’occidentaux. Paolo, mastodonte à la carrure imposante, l’a encore plus marqué que le lieu. On savait si Paolo était présent ou absent dès l’arrivée. Jérémie n’a jamais retrouvé le sentiment vécu lors de la célébration. Les touristes japonais, américains, musulmans, étaient assises en ronds et en tailleur. Tout le monde participait avec l’intensité choisie ; ce n’était pas un syncrétisme, mais un partage. La bienveillance dans la célébration permettait à chacun d’y trouver ce qu’il avait envie de chercher. Boutros se chargeait des lectures, Paolo précisant comment prononcer l’arabe, puisque Boutros est d’origine bédouine.

Jérémie est retourné par la suite retrouver ces moments de béatitude et de bienveillance. Journaliste de métier, Jérémie a pu interroger Paolo lorsqu’il est venu à Genève, puis par Skype.

Malgré les moments agréables à Mar Moussa, il se souvient aussi d’une bagarre survenue sur le trajet entre deux chauffeurs qui se disputaient pour savoir qui l’avait vu en premier, à savoir lequel allait emporter la course. Le taxi qui n’avait pas eu le bonheur de le prendre, les a pris en chasse sur l’autoroute. Ces deux taxis étaient de confession différente. Jérémie a pris conscience qu’il suffisait de gratter un peu pour remarquer un fond d’animosité entre les religions. Heureusement que des lieux comme Mar Moussa permettaient à ces tensions de n’être pas ressenties. Il recherche depuis à retrouver une telle atmosphère et ne désespère pas de retrouver l’esprit de communion qui caractérise Mar Moussa.

Jonas, en 2019

Bien qu’actif depuis longtemps dans notre comité, Jonas est allé pour la première fois à Mar Moussa à Pâques de cette année 2019 avec ses parents, Georges et Béatrice. Après un transit par le Caire pour gagner Beyrouth, ils sont partis vers 10h du matin vers Zahlé au Liban, arrivés en début d’après-midi à Mar Moussa. Quatorze check-points agrémentaient la route.

Nebek est austère, béton, terne et ne donne pas envie de s’y arrêter. Sur la route du désert, Jonas découvre les problèmes de pollution, avec les herbes sèches qui accrochent le plastique : il a l’impression que les vergers portent des fruits de plastique. Il observe des troupeaux de moutons que guident les bédouins en bas de Mar Moussa. Il est étonnant de voir la bâtisse de pierre se confondant dans le paysage et intéressant de discuter avec Djihad expliquant que le maçon travaillait depuis 10 ans sur le bâtiment. Il croise de jeunes enfants des bergers descendants du monastère ; au monastère, pas grand monde. Calme.

Il rencontre Maha, la sœur de Rana, qui officiera comme guide touristique pour la fin du voyage. Il participera à toutes les célébrations et prières données en commun. Il est impressionnant d’être dans la vieille chapelle, mystique. La fête de Pâques est préparée selon le rituel syriaque ; levé à 3h pour la messe de 4h durant deux heures et demi, qui suit l’histoire de Marie et Madeleine allant au tombeau. Il est marqué par l’ouverture par rapport aux textes. Il était possible de dire une pensée liée aux lectures, de participer à la vie spirituelle.
Ensuite, un père de famille syrien a fait halte au monastère et a partagé le repas avec les touristes venus rendre visite au monastère. Il a rencontré des bergers qui récoltaient des truffes ; la verdure et les coquelicots étaient remarquables : c’est comme si le désert s’était réveillé pour nous. Les montagnes du fond son enneigées, il fait froid.

A cause de la difficulté de se déplacer, impossible d’aller à Nebek pour voir l’école de musique. Il faut se calquer sur les déplacements de Djihad et de Houda. L’essence est très compliquée à obtenir, rationnée à 20 l par jour et véhicule. Le voyage pour Damas dure 2h. La traversée de la Ghouta permet d’observer le désastre. La vieille ville est vivante, pleine de commerces, d’artisans, de rencontres ; elle ne donne pas l’impression d’une ville en crise. Le contraste entre le cœur de la ville et sa périphérie est saisissant. Il rencontre les petits frères de Jésus, qui habitent dans un quartier dangereux et se déplacent eux-mêmes. Ils racontent que certains pays limitrophes encouragent les Syriens à rentrer ; certains qui s’y aventurent sont interceptés pour remplir leurs obligations militaires, ou emprisonnés. Les familles témoignent de ce drame : il n’est pas facile de se réinstaller, de revivre normalement.

Ils exposent que dans le caravansérail du Palais Azem, il y a une exposition de peinture et sculpture, avec une femme prostrée tenant un enfant ; cette image est évocatrice du sentiment des Syriennes dans cette période troublée. On retrouve dans l’expression artistique le sentiment des civils, victimes de la guerre civile. Georges souligne que la photo qui montre le désert en fleurs est émouvante, car c’était au lendemain de Pâques ; le désert portait les signes de la résurrection. La pierre morte montrait qu’elle peut porter la vie, sortir de sa stérilité. Après l’orage et la tempête, les coquelicots étaient rouge intense et offraient une espérance à la Syrie dans cette période très dure.